Une banale sortie cyclosophique
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La première demi-heure est plutôt calme, le cyclosophe y est souvent d’humeur bavarde

Nous partîmes à dix et par de prompts efforts il n’en resta plus qu’un. Et je serai celui-là  se disait-ils tous  ! : la cyclosophie n’est pas toujours de tout repos, le sage cycliste en chacun de nous, le sait mieux que quiconque :

D’abord il y a l’horaire de départ au Bowling-green : 8h30 ou 9heures ? L’impétrant cyclosophe, bardés de messageries en tous genres passera une ou deux soirées pour s’assurer du départ du samedi ( il paraît que depuis peu il y a un horaire d’été : 8h30 et un horaire d’hiver : 9h).

A l’heure dîte, le cyclosophe voudra bien encore patienter un peu, voire accepter en passant un café à l’appui d’une fenêtre. Il s’est déjà trouvé arrêté deux ou trois fois pour diverses questions accessoires, quand il voit enfin le groupe s’ébrouer puis s’engager sur un parcours qui à cette heure n’est dans la tête de personne pas même celle de la personne de tête. De toute façon, il ne saura son trajet qu’une fois rendu chez lui, alors qu’épuisé il ne se pose déjà plus la question de l’itinéraire du jour.

La première demi-heure est plutôt calme, le cyclosophe y est souvent d’humeur bavarde; il aime faire valoir sa culture cinématographique hebdomadaire, louanger fort justement la dernière création théatrale de Mahi ou encore détailler son abonnement à Léonard de Vinci. Certains, plus en jambes, pousseront jusqu’à disserter sur l’essence et l’existence ou bien sur les avantages d’une philosophie matérialiste légère et digeste au regard de la vieille et grasse métaphysique.

Il faut dire aussi que les premiers coups de pédale se résument à une tournée des belles endormies des demeures cyclosophales, auxquelles la joyeuse troupe s’ouvrant la voix de quelques jurons choisis, réserve d’ hargneuses aubades à cappella.

Puis vient la première côte, le premier sondage de pignons où s’affichent les tendances des valeurs coursières du jour. Chacun gère ses actions, attendant son heure ou bluffant sur ses dividendes. D’aucuns se débarrassent au plus vite de leurs obligations et songent déjà à emprunter pendant que les créanciers se montrent encore peu féroces. Aucun licenciement en vue, l’effectif reste stable.

Notre petite entreprise est encore prospère : on y fabrique des élastiques ou des accordéons c’est selon, et les contremaîtres veillent; certains vont même jusqu’à jouer les chiens de berger pour accompagner les retardataires en but à quelques ravins. D’aucuns diront que ces va-et-vient de costauds, sous couvert de bons offices, ne sont qu’humiliations supplémentaires permettant à ces vantards de toiser une dernière fois leurs victimes avant de nouvelles estocades.

Les plus malins, d’ailleurs, s’enfuient bientôt prétextant une sortie d’école ou une invitation des beaux-parents. La vie de famille, dont certains s’échappent allègrement par la pratique du cyclisme, retrouve soudain des vertus... au bout de deux heures d’efforts !

Puis arrive le soixante-dixième kilomètres, les côtes s’enchaînent, les hôtes se déchaînent; déjà on se retourne moins, on ralentit à peine dans les ascensions, on serre les dents dans un sourire masquant les halètements de la respiration. Au sommet l’attente se raccourcit et on accélère dès qu’un lâché a recollé, brisant-là la récompense de l’effort qu’il vient de fournir. Les malheureux à cours d’entraînement jettent alors l’éponge, la casquette, la pompe et le bidon. Tels des aéronautes, ils se délestent un maximum pour éviter de toucher terre et vont désormais, décrocher du dernier carré, se laisser guider par le vent jusqu’à leur base.

Car le dernier carré fourbit ses armes, sourires assassins aux lèvres. Ceux qui, goguenards, vous adressaient la parole dans les dernières ascensions, profitant de votre mutisme d’essoufflé pour vous planter des sophismes dans le dos, ceux-là vont en découdre. Chaque montée devient une passe d’armes, une joute, un golgotha. Le moindre coup-de-cul se transforme en coup-de-massue. Il s’agit alors de s’arracher la gueule, les tripes, de « faire dégueuler sa bouillie » à ce bon copain qui a tant aimé l’expo Chardin. Les yeux injectés de sang, vous ne cédez rien, le sang monte à la bouche, c’est la guerre totale, la prochaine tranchée sera-t-elle pour vous ?

Chaque carrefour devient une embuscade, un piège. Où sont-ils, devant, derrière ? Vous êtes seul enfin ou hélas, vainqueur ou vaincu, las, lassé, limé, blanc, nu.

Le cyclosophe finit le plus souvent seul, fier mais nu sur son cynique tonneau ; il va dévaler un creux puis avaler une bosse pour enfin se hisser chez lui.

Alors c’était sympa ?

Luit Aucagnard